Socrate l’a dit pour nous encourager et fort justement : «
Nul homme ne poursuit un dessein plus pieux que celui qui s’occupe de bien
élever non seulement ses
enfants, mais aussi ceux des autres. "
La prospérité d’un pays ne dépend pas tant de sa puissance
militaire que de l’estime
qu’on lui accorde en affaires. Tant qu’il se trouve en position d’être
indispensable à d’autres pays, tout en pouvant se suffire à lui-même, il est
grand et prospère.
Mais cela même dépend du caractère et de la valeur
professionnelle de ses
citoyens. De là notre désir de faire que les hommes de la génération prochaine
soient des hommes d’énergie et de caractère.
Une des causes de la décadence de Rome, c’est que le peuple,
dont |M trois quarts étaient nourris par l’Etat, n’avait plus de souci ou la
responsabilité de son avenir et de celui de ses enfants; c’était un peuple de sans-travail et d’oisifs. Il
fréquentait les cirques où des gladiateurs salariés se produisaient dans
l’arène. Nous voyons, nous, des foules s’amasser pour regarder jouer au
football des équipes de professionnels payés pour cela.
Le football en lui-même est un jeu magnifique pour
développer un jeune homme physiquement et même moralement : il apprend à jouer
avec bonne humeur et désintéressement, à jouer à sa place, i tenir son rôle ;
ce sont là les meilleurs des exercices en vue du jeu de la vie. Mais c’est un
jeu malsain quand il détourne des foules de jeunes qui, au lieu de jouer eux-mêmes,
se contentent d’être simplement les spectateurs de quel¬ques équipiers
mercenaires. Personnellement, j’aime à voir ces splendides spécimens de notre
race, parfaitement entraînés et jouant impeccable¬ment; mais le cœur saigne à
la pensée de ces milliers de jeunes garçons et de jeunes gens, étroits de
poitrine, voûtés, échantillons misérables d’un peuple, fumant sans fin
cigarette après cigarette, beaucoup d’entre eux pariant sur le jeu, et tous
apprenant à perdre la maîtrise d’eux-mêmes pour grogner ou acclamer à l’unisson
de leurs voisins — le pire de tout étant les éclats de rire hystériques qui
soulignent la moindre faute ou la moindre chute d’un joueur. On se demande si
c’est là le même peuple qui s’était acquis la réputation d’une nation virile,
tranquille, fumant sa pipe sans se laisser atteindre ni par les paniques, ni
par l’excitation et sur qui l’on peut compter dans les plus mauvais moments.
Emmenez- moi d’ici les jeunes, apprenez-leur à être virils, à jouer la partie
quelle qu’elle soit, à n’être pas seulement des spectateurs et des oisifs.
Je connais l’objection: dans nos grandes villes, il n’y a
pas la place nécessaire pour que seulement la moitié de nos garçons puissent
jouer activement. Mais je ne dis pas non plus que le seul jeu possible soit le
football. Un des buts du scoutisme est de suggérer des jeux d’équipes et des
activités qui soient aussi efficaces que le football pour développer la santé,
la force, le caractère. Il faut rendre ces jeux attrayants, les organiser en concours, nous en servir
pour inculquer les éléments de l’obéissance à la règle, de la discipline, de la
maîtrise de soi, de l’ardeur, de la
vaillance, de la hardiesse, de l’initiative et du désintéressement dans un jeu d’équipe. Ce sont là des
attributs importants du citoyen ; en les encourageant, le scoutisme peut être
un complément utile de l'éducation scolaire.
Depuis que ce livre a été publié pour la première fois de
grands changements se sont
produits dans le régime scolaire, les maîtres y sont plus encouragés que jadis à enseigner l’hygiène et les «
humanités ».
Mais ils sont encore arrêtés, sans qu’il y ait de leur
faute, par le trop grand nombre d’élèves dans chaque classe et par le petit
nombre des années d’école, en même temps que (dans bien des endroits) par le
milieu où vivent les écoliers. Bien plus, la chose la plus importante de
toutes, l’éducation morale, la formation du caractère — encore qu’elle soit
prônée de façon fort appropriée dans les instructions officielles — est bien
difficile à réaliser dans la pratique, avec ce grand nombre d’enfants. Il y
faut, en effet, pour réussir, l’étude individuelle. De même l’éducation civique
ne peut pas être considérée comme complète, à moins qu’on ne fournisse à
l’élève l’occasion de manifester en pratique l’esprit qu’on lui inculque en
théorie. Et ceci aussi est difficile à l’école.
Le remède, quel qu’il soit, doit être appliqué à la
génération qui monte ; c’est elle qu’il s’agit d’élever.
Théodore Roosevelt a eu raison de dire: «Si vous voulez
faire quelque chose de durable pour la moyenne des hommes, il vous faut
commencer avant qu’ils soient hommes. Vos chances de succès sont dans les
enfants et non pas dans les hommes.»
Les jeunes garçons sont pleins d’entrain et d’enthousiasme;
ils ne demandent qu’à être bien aiguillés pour devenir de bons et utiles
citoyens. On laisse se perdre des matériaux admirables; bien plus, on laisse
ces garçons devenir un danger public, faute de les éduquer, faute d’une main
qui les guide à travers la crise de leur vie, quand ils se trouvent au
carrefour où leur avenir se décide en bien ou en mal.
Puis, à leur tour, ils deviennent les pères d’autres jeunes
garçons; ils sont censés faire d’eux de bons citoyens, élevés dans de bons
principes ; en réalité, ils n’ont pas la plus lointaine idée de ce que ces mots
veulent dire. Et ce n’est pas' tout à fait leur faute.
Savoir-faire, épargne, chevalerie, civisme, patriotisme, on
leur a trop peu appris tout cela.
a) Où faire
porter le remède pour guérir un si grand mal?
b) Sous quelle
forme donner ce remède?
c) Quel secours
un simple particulier peut-il offrir?
Il
est inutile de tenter grand-chose avec les vagabonds adultes d’au-jourd’hui
a) Le remède
doit être appliqué i la génération nouvelle.
b) Il
consistera à donner du «caractère» aux hommes de demain. Par «caractère»,
nous entendons une virilité qui compte sur soi-même et qui pense à autrui,
quelque chose du christianisme pratique
qui distingue les Birmans (bouddhistes en théorie) dans leur vie quotidienne.
c) Le rôle que
peut jouer l’initiative privée dans ce grand mouvement, les résultats obtenus
par les Unions chrétiennes de jeunes gens (Y.M.C.A.), les Brigades de jeunes
garçons, et plusieurs autres sociétés du même genre, en témoignent. Mais elles
ont beau avoir fait de bonne besogne, leurs efforts n’atteignent qu’une petite
partie du champ à cultiver.
Si leur influence n’atteint pas les masses, cela est dû : au
défaut d’entente et de coopération entre les diverses sociétés — à la peine
que l’on a de trouver un nombre suffisant de jeunes gens disposés à prendre en
mains des garçons — à la difficulté qu’il y a d’attirer des jeunes garçons et
de retenir leur intérêt.
Voilà un beau champ de travail pour les hommes qui ont à
cœur les intérêts de leur pays, et dont le patriotisme est aussi actif en temps
de paix qu’en temps de guerre.
Ces difficultés ne m’ont pas paru impossibles à vaincre, et
j’ai été conduit à proposer le programme de ce livre comme un commencement de
solution. Chacune des sociétés nommées plus haut pourrait adopter ce plan qui,
en ce cas, deviendrait un lien entre elles. Les tendances pratiques de ce
programme, la place qu’on y fait au sport, l’absence de toute bureaucratie,
parleront peut-être à un plus grand nombre d’hommes capables de faire fonction
de chefs. Surtout, par sa variété, il attirera les garçons eux-mêmes —
jusqu’aux pires, jusqu’aux « apaches ».
Les qualités de l’Eclaireur sont celles du colonial :
savoir-faire, endurance, audace, loyauté, avec, en plus, l’allure
chevaleresque des anciens preux. Ce sont ces vertus, physiques et morales, que
l’on propose à l’imitation des jeunes et, sous une forme qui leur est
accessible, à leur pratique quotidienne.
Nous nous plaçons au point de vue du jeune garçon, nous
considérons l’éducation qu’il voudrait recevoir, et nous en adaptons la forme
à ses besoins. Quant à notre
organisation, nous faisons en sorte qu elle tienne compte des
désirs des chefs, en la décentralisant le plus possible. Le chef
trouvera autour do lui, dans des comités locaux, des appuis, mais
il ne connaîtra ni les inspections irritantes, ni la bureaucratie
administrative, ni les dépenses que cela entraînerait.
Le secret pour réussir en éducation, ce n’est pas tant d'enseigner,
que de mettre l’élève en situation d'apprendre
par lui-même. Pour pénétrer dans l’esprit de l’enfant, les connaissances
doivent l’intéresser. Il faut tenter votre poisson par l’appât d’un ver
succulent, non par celui d’un biscuit sec et dur.
Notre système d’instruction consiste à amener les jeunes
garçons â passer des épreuves diverses, témoignant de connaissances pratiques
et professionnelles qui puissent leur être utiles dans leurs futures carrières.
Nous avons des insignes d’électriciens, de mécaniciens, de fermiers, de
jardiniers, de musiciens, de charpentiers, etc., sans parler des insignes
proprement dits d’Eclaireurs de première et de seconde classe qui témoignent
que nos jeunes garçons savent nager, cuisiner, diriger une barque, se retrouver
dans une forêt, etc., et qu’ils ont donné des preuves de virilité et d’adresse.
Nous encourageons le jeune garçon à se sentir personnellement responsable de
son développement physique et de sa santé; nous avons confiance en son honneur,
et nous attendons de lui qu’il rende un service à quelqu’un chaque jour.
Notre éducation n’est pas militaire. L’exercice, que tant de
sociétés de jeunesse ont adopté, est réduit chez nous à sa plus simple
expression; faire l’exercice tend i détruire l’individuahté, et l’un de nos
buts principaux est de développer la personnalité.
Du point de vue religieux nous sommes «interconfessionnels» ; nous ne nous arrogeons pas les prérogatives des parents ou des
ecclésiastiques en donnant nous-mêmes une instruction religieuse, mais nous
insistons pour que le jeune garçon observe et pratique la forme de religion
qu’il professe, quelle qu’elle soit, et le devoir dont nous lui imposons avant
tout la pratique quotidienne, c’est de se montrer chevaleresque et de venir en
aide à autrui.
Le fait que des membres des Eglises libres et de.la Société
des Amis (quakers) ont reconnu que nos Eclaireurs n’avaient pas un but
militaire, nous est un grand encouragement.
Nous n’avons pas de couleur politique, et nous ne tenons
aucun compte des classes sociales.